Une série d’articles sur la révolution industrielle en cours (1/3), les impacts sectoriels et géopolitiques (2/3), les axes de réorganisation (3/3)
Nous ne vivons pas une transition écologique liée au réchauffement climatique, mais une nouvelle révolution industrielle qui est en train de transformer toutes les chaînes industrielles. Le basculement vers l’automobile tout électrique ou à l’hydrogène est en train de changer tout un pan de l’activité industrielle mondiale. Les champions d’hier dont le savoir faire essentiel était le moteur à explosion et la plate-forme de roulage, sont en train d’être dépassés par des champions qui maîtrisent la batterie, les nouvelles plates-formes de roulage et l’informatique embarquée. L’Europe et les constructeurs traditionnels ne croient toujours pas que Tesla est en train de devenir l’équivalent de Google pour l’automobile et que la structure et les forces du Marché vont complètement se transformer. Pour preuve, ils espèrent négocier un report des règles de régulation qui vont instaurer le tout électrique et espèrent maintenir le plus longtemps possible leurs modèles hybrides tandis que la capitalisation boursière de Tesla vient de dépasser celle d’Apple.
Leur calcul est erroné, car le système monde est inter-relié. Nous sommes en train de vivre une nouvelle révolution industrielle qui, n’est pas, comme par le passée, occasionée par l’apparition d’une nouvelle source d’énergie, mais par une transformation radicale des sources existantes due à la nécessité de lutter contre le réchauffement climatique. L’énergie va coûter de plus en plus cher, nous en avons un aperçu avec les hausses actuelles d’environ 30% et qui iront dans les prochaines années à des facteurs de 3 ou 4. Ces hausses sont tirées par les transitions qui reportent massivement la demande sur l’électricité et l’hydrogène dans le monde entier, par la lenteur des investissements sur de nouvelles capacités de production, mais aussi par le renchérissement encore plus important des énergies fossiles qui verront leur prix pénalisé par une taxe carbone de plus en plus élevée.
Pour l’automobile, l’avenir est à l’électrique, à l’auto partage et aux transports en communs, urbains, régionaux et interurbains. L’autopartage ne sera possible à grande échelle que grâce à la voiture autonome. Sur ce plan, on doit constater que les constructeurs français et européens sont très en retard, par manque de discernement, puisqu’ils se sont détournés de la voiture autonome il y a quatre ans, laissant le champ libre à Tesla et Google. Les GAFA de l’automobile sont déjà constitués et déjà hors de portée d’industriels européens trop conservateurs et à la traine.
Le retard est aggravé par un aménagement des villes dont la vision ne dépasse pas le court terme. Par exemple, les aménagements de Paris au bénéfice du vélo ont obéré pour longtemps la possibilité d’utiliser des voitures autonomes, et donc de mettre en oeuvre un système d’autopartage généralisé qui permette de faciliter la circulation dans le dernier kilomètre et d’être un relai efficace avec les transport en commun. Elle ne pourra pas compter sur les taxis pour cette fonction dont le modèle de transport privé ne peut être équivalent à un auto partage via une voiture autonome qui peut transporter 6 personnes en même temps.
Les grandes villes françaises d’ailleurs n’ont pas encore compris qu’elle ne sont que des lieux de passage de périphérie à périphérie et que ce phénomène va s’accentuer. En effet, les centres-villes vieillissants n’offrent plus aux entreprises des immeubles adaptés à leur fonctionnement. Ils sont d’abord énergétiquement obsolètes, sont difficilement accessibles, avec des parkings restreints, et des aménagements inadaptés aux nouveaux modes de transports. Leur conception et leurs aménagements internes sont aussi inadaptés aux activités actuelles. De nombreuses entreprises ont déménagé en périphérie, délaissant leurs vieux bâtiments coûteux, ou n’en conservant qu’une minime prestigieuse partie. Les centres-villes des grandes villes se désertifient, tel celui des villes moyennes il y a quelques années. En analysant les véritables raisons, on comprend que c’est un phénomène irréversible à moins de s’engager dans des projets de restructuration massive des centres-villes.
Le prix de l’immobilier va être bouleversé. D’ailleurs on peut s’interroger sur les octrois de prêts immobilier fait à l’heure actuelle pour une période de 25 ans, supérieure à la durée de vie de l’actif immobilier sous-jacent, la résidence principale ou secondaire, qui va être obsolète énergiquement à tout point de vue dans 10 ans et affectée par les événements climatiques et environnementaux liés au réchauffement planétaire. Les portefeuilles de prêts immobiliers seront massivement déclassés et entraîneront une crise bancaire au moment où nous aurons le plus besoin d’elles pour financer les investissements de la transition énergétique.
Si l’émergence de la finance verte est trop timide, c’est que les cycles courts de financement sont souvent portés par des projets basés sur des technologies maîtrisées, alimentées en énergie fossiles. Les financements verts ont un cycle de retour beaucoup plus long et pâtissent donc d’un risque plus grand aux yeux d’une industrie qui doit les minimiser autant faire se peut. On prête au promoteur qui construit rapidement et vend rapidement, et l’on reporte le risque sur le particulier dont la diversité est une garantie de risque moindre, sauf à une contamination systémique que pourrait occasionner le changement climatique. Dans ce cas, les banques espèrent que la collectivité prendra le relai, pendant que le défaut d’anticipation de l’état le présentera comme une catastrophe que tout le monde doit contribuer à amortir. Ce n’est pourtant pas une catastrophe, mais un aveuglement généralisé.
Les transferts de richesses, les appauvrissements des uns, la destruction des actifs industriels obsolètes et l’impossibilité dans le même temps de construire de nouveaux actifs par défaut de moyens d’investissement, va accroître des inégalités que le renchérissement généralisé des biens de première nécessité, énergie, alimentation, va rendre insupportable. Une préfiguration de cela est la situation économique actuelle du Liban qui, en temps condensé, montre les relations systémiques entre renchérissement généralisé, pénurie énergétique et désorganisation totale de l’économie.
On constate que dans une telle situation l’état sera incapable de prendre le relai. L’état ne pourra pas à la fois amortir les effets de ce bouleversement et assurer les financement requis par la transformation. Car tout sera impacté, la santé, l’éducation, notre mode de vie, tout objet de patrimoine sera hors de prix, réservé à une élite. C’est déjà le cas, il n’y a qu’à se promener dans les nouveaux quartiers urbains qui n’abritent que des chaînes de restauration rapide, les restaurants traditionnels demeurant dans des centres-villes, peu à peu, se transforment en restaurants végans ou bio ou disparaissent. Les centres-villes déserts des grandes villes ne seront, dans une vingtaine d’années, que des lieux de patrimoines, abritant des magasins de luxe, des musées et des restaurants de luxe. La culture des lumières, l’ambition de démocratisation culture de la révolution, sera réservée à une petite élite, comme elle l’est déjà aujourd’hui, mais à une échelle inouïe.
Il n’y aura plus de classe moyenne, mais des appauvris et des gens qui essaieront de subsister, de maintenir leur santé, d’obtenir un niveau petit niveau d’une éducation qui sera hors de prix, d’un côté et une élite réduite de l’autre qui possèdera tout, et notamment les machines qui, à grande échelle, fourniront les services dont tous ont besoin. En effet, si les observateurs actuels, think tank écologistes ou environnementaux ont constaté le lien entre numérique et énergie, ils n’ont pas encore compris que ce lien va se renforcer sans cesse, avec la transition énergétique. Le numérique permet de distribuer de manière optimale l’énergie en distribuant plus efficacement les services qui la consomment, qu’ils soient médicaux, urbains, éducatifs, et d’un autre côté, permet de concentrer le contrôle de ces services dans un nombre réduit de mains. C’est l’i-économie. Ce n’est pas en refusant les phénomènes qui sont déjà à l’œuvre que l’on peut se préparer valablement à les affronter.
Si la France dans son ensemble a tardé à prendre le tournant de la transition écologique, ce n’est pas par manque de conscience, on se souvient de Jean-Louis Borloo, mega ministre de l’écologie de Nicolas Sarkozy, mais par manque de courage devant une élite incrédule et conservatrice, ce qu’elle a toujours été dans l’histoire, d’ailleurs, à l’exception de courtes périodes où des hommes d’état lui ont permis de s’affranchir temporairement de sa paralysie. Les perspectives géopolitiques auraient pu être incitatives, la basculement mondial qui s’effectue sous nos yeux entre les Etats-unis et la Chine, et qui va nécessairement affecter la France et l’Europe, puisqu’elles demeurent arrimées à un bateau aveugle qui sombre inexorablement et qui n’ose pas ouvrir les yeux. La peur panique de l’éclatement de l’Union européenne paralyse le noyau des pays fondateurs sur une posture fatale.
L’échelon régional aurait pu dans une certaine mesure prendre le relai. J’avais mis beaucoup d’espoir dans la Corse qui aurait pu brandir l’étendard des technologies de transition énergétique, de part sa dotation environnementale naturelle et du fait de son insularité qui l’isole plus facilement des pollutions extérieures. Sur cette base, elle aurait pu être aujourd’hui une vitrine innovante de la transition écologique et un champion français, voire européen. Les entreprises sont friandes de ce type d’investissement qui, s’il n’occasionne pas un retour significatif est un vecteur d’image puissant.