Alors que le monde des affaires et du travail ressent encore l’ébranlement de la crise financière, les dirigeants des grands pays de la planète affichent la joie partagée d’avoir évité qu’elle ait pris une ampleur comparable à celle de 1929. Bien qu’un certain nombre de déséquilibres persistent et font craindre le retour de l’inflation, voire pire, de la déflation, les mesures de régulation du système financier ont progressé et renforcent la conviction que le pire est derrière nous. L’attitude responsable et la volonté de coopération des dirigeants des pays les plus riches ont atteint un niveau inégalé dans l’histoire de l’humanité.
Pourtant un certain nombre de questions posées par la crise restent en suspens :
Les banques centrales ne sont plus en mesure de réguler efficacement l’impact des activités financières sur la monnaie, celle-ci étant un bien commun aux citoyens d’un état dont l’utilité est de faciliter les échanges économiques. face à des instruments financiers de plus en plus complexes, les banques centrales ne sont plus en mesure d’identifier les impacts des activités commerciales bancaires sur la monnaie, le suivi des agrégats monétaires s’étant avéré défaillant dans un tel contexte. Ainsi, les banques centrales sont dans l’incapacité d’assurer le rôle de régulation de l’activité bancaire qui a été le leur pendant les dizaines d’années précédant la crise.
Une des réponses données à cette question est l’évolution des obligations prudentielles de l’ensemble des acteurs du secteur financier, banques et assurances (Bâle III, Solvency II). L’objectif poursuivi est d’obliger chaque acteur à mettre en réserve suffisamment de capital pour rester en capacité de faire face à ses engagements de Marché, même soumis à des aléas. Dans une certaine fourchette, chaque acteur doit identifier les aléas auxquels il s’expose, leurs conséquences sur son activité afin de calculer le montant de capital à mettre en réserve. Cette démarche présente l’intérêt de faire réaliser l’analyse d’impact des instruments financiers par ceux qui les maîtrisent, de réguler le comportement de ceux qui prenant trop de risques, n’auraient pas suffisamment de capital pour les couvrir. Mettre en oeuvre et contrôler le bon fonctionnement de ce système reste une gageure pour les autorités de régulation et les banques centrales.
Pourtant restreindre l’analyse aux activités bancaires comme générant les perturbations qui affectent le fonctionnement des monnaies, c’est oublier en chemin des acteurs majeurs du monde financier, les états. En effet, les états font en appel en permanence aux Marchés financiers pour lever les liquidités indispensables à leur bon fonctionnement. Que se passe-t-il lorsqu’un état est en faillite ? C’est qu’il ne trouve pas suffisamment de prêteurs pour faire face à ses engagements de l’instant, qui peuvent être de payer des fournisseurs ou une échéances de sa dette. Cela se produit lorsque la confiance des prêteurs en la capacité de remboursement de l’état emprunteur baisse et que ceux-ci réclament une rémunération élevée, via les taux d’intérêt. Lorsqu’un appel au Marché échoue et que l’échéance de remboursement se rapproche, le risque d’être en situation de cessation de paiement s’accroît. C’est ce qui s’est produit pour la Grèce au printemps 2010, et ce qui se produit pour l’Irlande actuellement.
La baisse de confiance des investisseurs vis-à-vis de certains états découle d’une anticipation de leurs engagements futurs de sauver un secteur financier toujours en difficulté, une dette à venir en quelque sorte qui obérerait leur capacité de remboursement de leurs dettes actuelles. Dans ce cas, c’est encore la dimension financière qui prévaut, pour l’évaluation de la solvabilité d’un état.
Pourtant, d’autres types d’aléas, autres que les aléas financiers, peuvent affecter la capacité de financement d’un état comme les catastrophes naturelles, les risques de santé publique – maladies, accidents, pollution, effets du vieillissement – ou les perturbations sociales. Pour un état, l’obligation de mettre en réserve une partie de ses ressources pour pouvoir faire face aux aléas auxquels il est exposé, contribuerait aussi à la stabilité du système financier et constituerait une incitation à investir dans des programmes de prévention pour en maîtriser la survenue. Sur le plan politique, c’est un sujet difficile qui touche aux questions de souveraineté des états, dans le sens où elle appelle la mise en place d’une régulation supranationale pour laquelle les états devraient abandonner une part de leurs attributions régaliennes.
D’autre part, malgré des questions publiquement posées et de nombreuses études consacrées à ce sujet, on ne dispose pas d’indicateur efficace de mesure de la performance d’un état. Une des pistes récemment explorée est celle de la commission Stirglitz qui a recommandé de prendre en compte les impacts environnementaux et les impacts sociaux de l’activité d’un état, en complément de son indicateur de richesse économique, le PIB. La réunion de plusieurs prix Nobel autour d’un tel sujet a montré qu’une évolution des mentalités vers la prise en compte des facteurs de durabiilité pour évaluer les performances économiques est possible. Peut-être parce que limités à la sphère française, ces travaux n’ont rencontré qu’une audience discrète.
Cependant, il reste un aspect qui n’a pas été exploré, c’est la performance des investissements réalisé. Dans l’indicateur du PIB, les investissements sont considérés comme constitutifs de la richesse produite, car ils viennent accroître le capital des entreprises afin d’améliorer les outils de production de biens et de services. Ce sont des dépenses virtuelles réalisées en vue d’obtenir des gains futurs. Dans le cas des entreprises privées, les mécanismes boursiers viennent corriger a posteriori les surestimations de gains futurs faites par certaines entreprises, lorsque des programmes d’investissement importants ne génèrent pas les gains escomptés, qu’ils soient financiers ou qu’ils touchent à une meilleure maîtrise des risques.
A propos des états, ou des collectivités territoriales – si l’on veut rattacher à la Corse cette réflexion -, comment rattacher la performance ou la non performance des investissements à l’amélioration du contexte environnemental, social et économique ? Les dépenses publiques d’investissement viennent grossir des dépenses publiques de plus en plus importantes dans un contexte d’accroissement des risques environnementaux (catastrophes naturelles, inondation) et des risques sociaux (maladies, vieillissement). Les états ou les collectivités territoriales utilisent-elles efficacement les ressources qui sont à leur disposition dans le meilleur intérêt économique et durable de leurs citoyens ? Dans ce cas, il n’existe pas de mécanisme externe de correction qui efface une valeur économique surévaluée, comparable à la Bourse pour les entreprises. En l’absence d’indicateurs, la performance des états et des collectivités territoriales fait l’objet de conjectures qui alimentent le débat politique, jusqu’à ce que les autorités monétaires soient dans l’obligation de procéder à une dévaluation de leur monnaie, contrainte et forcée, pour maintenir un fonctionnement économique acceptable. Pour les collectivités territoriales seule existe la voie de la faillite.
Pour matérialiser un tel indicateur, une des possibilités serait d’inscrire les objectifs de performance attendus dans les budgets d’investissement des états, de suivre ces budgets comme indicateurs de valeur et de capacité d’un état à se transformer, et de procéder a posteriori aux corrections, lorsque les résultats auraient été constatés, en transformant les investissements en dettes, diminuant l’indicateur de valeur. Combien de réformes ont été entreprises consommant des ressources pour de piètres résultats ? Cet indicateur en garderait la mémoire et inciterait les gouvernants à adopter de meilleures pratiques.
Mesurer l’efficacité des gouvernants à utiliser les ressources financières et autres, en leur possession, pour améliorer les performances économiques, sociales et environnementales, est la seule voie pour promouvoir les mécanisme et les collaborations effectives pour mettre en oeuvre les changements profonds qui nous mèneront vers des activités humaines soutenables sur les plans économiques, environnementaux et durables. L’existence d’un tel indicateur aurait favorisé le succès de la conférence de Copenhague sur le climat.