Le clanisme est une stratégie familiale adaptée à l’agriculture de subsistance qui a permis à la population corse de survivre malgré un environnement naturel hostile. Il est regrettable que les nationalistes l’ait, sans nuance, accusé de tous les maux de la société corse.
Evidemment, les ressources agro-pastorales corses, à part de rares exceptions, étaient dans l’incapacité de nourrir une population essentiellement localisée dans les régions montagneuses de l’île1. Cela l’a amené à développer une polyculture et à adapter ses structures familiales et sociétales à ce type d’activité.
Battons en brèche une première idée reçue. Au sein de cette société, il n’y avait pas de spécialisation, le pastoralisme n’était qu’une des activités d’un groupe familial. Les structures de groupes familiaux élargis permettaient de répartir les activités agricoles selon les aptitudes et les dispositions de chacun, les jeunes possédant la force de travail indispensable, tandis que les plus vieux, apportaient leur savoir-faire.
Le clan est l’aboutissement de cette conception familiale élargie. Des hameaux entiers de village ont été développés par les membres d’une même famille. Certains membres ayant fait souches dans d’autres villages, ils sont restés très attachés au groupe d’origine avec lequel ils ont continué d’entretenir des relations non seulement familiales mais aussi agricoles. Si la Corse avait été plus, peut être que ces groupes, à l’image de ce qui est arrivé sur le continent, se seraient agrégés en tribus.
Plus récemment, cette charpente familiale a permis de prendre possession des fermages donnés par les grands propriétaires terriens, les sgiò. L’opposition entre les clans a ferment de vendetta terribles qui, en réalité, étaient de véritables guerres familiales, parfois menées pour le compte des sgiò, comme l’a montré François Pomponi dans son ouvrage « Vendetta, justice et politique en Corse: l’affaire Viterbi (1789-1821) ». Caroline Paris indique dans son ouvrage « Vendetta: Bandits et crimes d’honneur en Corse au XIXe » que l’étendard de l’honneur brandi par les assassins, est un voile moral pour préserver la réputation de bonne moeurs du clan. Les vendetta étaient aussi menées pour le propre compte des clans qui s’affrontaient, pour étendre ou préserver leur sphère d’influence. En effet, la terre agricole utilisable était rare, et, si les nouvelles générations voulaient continuer à vivre au pays, et ne pas s’engager dans les armées pays voisins, elles devaient se faire de la place.
Sans la religion catholique, une structure familiale de clan est n’aurait pas pu exister, car elle réclame une reconnaissance, sans faille, de l’autorité du chef de clan. L’Écosse et l’Irlande catholique ont connu des structures familiales similaires. En revanche, les sociétés protestantes qui promeuvent l’individualisme et l’égalité, et entravent ainsi l’autorité d’un seul, sont incompatibles avec cette organisation sociale. C’est sûrement une des raisons du rejet des Giovannali qui, refusant toute autorité, constituaient un péril mortel pour la société corse.
Le mythe de Kallisté, la plus belle, est récent. En réalité, la Corse a toujours été une région très pauvre, aux plaines marécageuses et insalubres. Elle a été peuplée par les bannis, les persécutés, les hérétiques venus de toute la Méditerranée à toutes les époques, grecques, romaines, aragonaises, pisanes, génoises. L’ouvrage de Stefanu Leandri, « la Corse, creuset génétique », le démontre.
Elle est, aujourd’hui, assainie. Elle ressemble à un paradis qu’elle n’avait jamais été auparavant, nos grands parents qui sont déjà morts, pour ma part, le savaient encore, malgré la littérature nostalgique des fonctionnaires français d’origine corse qui noircissaient les colonnes de la Muvra.
Le clan est une structure sociale millénaire qui a permis à la société corse de traverser les temps difficiles. La structure familiale moderne à noyau est très récente, comme le mentionne Emmanuel Todd dans son ouvrage « Où en sommes-nous ? Une esquisse de l’histoire humaine« , alors que les sociétés claniques ou tribales ont plusieurs milliers d’années d’existence. La structure familiale à noyau partage sûrement sa source avec celle du protestantisme.
Le clan a l’inconvénient, dans un contexte social moderne, où l’on espère l’indépendance de chaque individu, de faciliter le contrôle des personnes. Il court-circuite la démocratie en facilitant les collusions politiques et permettant d’installer les chefs de clan aux postes de pouvoir. Il permet également l’épanouissement des comportements mafieux. Sans la structure de clan, la mafia n’aurait pas pu se développer en Italie.
Pourtant, l’organisation sociale de clan aurait pu être aussi utilisée pour développer l’activité économique, si le Japon est l’exemple d’une réussite éclatante, certaines réussites dans le sud italien reposent aussi sur lui. Décidément, les corses ont le chic pour détruire leurs atouts !
(1) Gérard Lenclud, En Corse, une société en Mosaïque. Edition de la Maison des Sciences de l’Homme 2015