icon_preknowledgeLa croissance, le fondement de l’analyse économique moderne

Pour les économistes, telle Nadine Levratto, le régime de croissance est le régime de fonctionnement optimal d’une économie. Toute la difficulté est de trouver et de garder un sentier de croissance équilibré. Une croissance qui maintient ou améliore le taux d’accumulation du capital est fondée sur des gains de productivité, alors qu’elle pourrait être simplement que le résultat d’un accroissement de la population active sans efficacité supplémentaire.

La croissance qui traduit une plus grande efficacité de l’économie, attire les capitaux qui permettent de financer l’innovation qui, en retour, contribue à développer davantage d’efficacité. C’est le concept de cercle vertueux.

Cependant lorsque le taux de croissance est insuffisant, en deçà d’un certain seuil, le retour sur investissement n’est pas assez élevé pour attirer les capitaux, le cercle vertueux ne peut pas s’enclencher, c’est la trappe de pauvreté.

En 1972, le Rapport Meadows commandé par le Club de Rome, intitulé « Limits to Growth » ou « Halte à la croissance », sur la base d’un modèle théorique, a étudié les impacts de l’évolution de l’économie mondiale sur les conditions de vie, définies par la qualité de l’alimentation et le niveau de production industrielle.

Les simulations du modèle ont montré que la poursuite de la recherche de la croissance entraînait l’effondrement des conditions de vie avant 2100. Ni la maîtrise de la pollution, ni la maîtrise des naissances, ni l’accroissement de la producivité agricole ne suffiraient pas à endiguer le phénomène. La seule solution était de limiter la croissance.

icon_diagnosisDu point de vue de la croissance, l’économie Corse irait bien

L’INSEE dans sa synthèse sur la croissance Corse en 2007, fait le constat suivant : « Entre 1990 et 2006, le produit intérieur brut régional a augmenté à un rythme moyen de 1,9 % par an, voisin de la moyenne nationale. Après plusieurs années de stagnation, l’économie corse a décollé à partir de 1997 et figure depuis parmi les plus dynamiques de France. Elle a bénéficié jusqu’en 2003 des effets favorables du tourisme et, depuis 1999, de la très forte expansion de la construction. Par ailleurs, les services administrés contribuent à cette dynamique d’ensemble. Le PIB par habitant reste certes en bas du classement régional, mais il a rejoint le Languedoc-Roussillon et la Picardie et dépassé le Nord-Pas-de-Calais. »

La Corse serait alors une économie performante au regard des critères actuels. En outre, en terme de productivité, mesurée par le PIB/emploi, avec 60 K€/emploi, la Corse est au niveau des régions européennes les plus riches.

De même, le taux de croissance de cette productivité est compris entre 5% et 10% est parmi les plus dynamiques d’europe. Le taux d’investissement et le taux de création d’entreprises sont supérieurs à la moyenne nationale, tandis que le taux de défaillance est légèrement inférieur. Enfin, le taux de chômage est à peine supérieur au taux de chômage national.

Cela traduirait-il que la Corse est entré dans un cercle vertueux de croissance ? La Corse irait-elle finalement bien ?

Si on considère l’économie corse est comme une économie moderne, à l’image de l’économie française, alors on doit conclure qu’elle va bien. En revanche, si l’économie corse est en phase de rattrapage, alors la croissance qu’elle réalise est insuffisante.

icon_discussionEst-ce que cette croissance est durable  ?

L’économie générale

L’économie corse est une économie régionale parmi les plus spécialisées en France.

La croissance actuelle est tirée par principalement par le BTP, l’industrie touristique et secondairement par l’industrie agroalimentaire.

Au sein du BTP, la croissance est tirée par le gros oeuvre et le second oeuvre stimulés par le PEI, par définition transitoire, et la demande en construction d’habitations collectives.

Le tourisme connaît traditionnellement des gains de productivités bornés. Bien que l’offre corse soit en concurrence directe avec les offres agressives des pays méditerranéens voisins, la croissance du tourisme mondial a permis jusqu’à présent d’absorber des capacités en croissance également. En Corse, le tourisme est concentré sur une aire géographique limitée – La Balagne, Porto-Vecchio, Bonifacio, Porticcio -, il verra à un moment ou un autre son expansion ralentir.  La conjoncture économique mondiale actuelle pourrait entraîner un retournement de tendance.

En 2006, les services administrés (les administrations) représentent 31% de la valeur ajoutée, derrière les services marchands qui en représentent 40%. Cette activité est destiné à décroître au fur et à mesure de la rationalisation des administrations.

Les entreprises

Les capitaux propres des entreprises corses sont traditionnellement faibles. Pour se financer, bien qu’elles recourent aux facilités de paiement Client/Fournisseurs, elles doivent aussi emprunter aux institutions finanacières, ce que traduit un taux d’endettement élevé.

Pour une entreprise donnée, le Marché est nécessairement limité, et les échanges même vers la France continentale, demandent le franchissement d’un seuil, notamment dans la gestion de la logistique de livraison qui requiert un changement d’échelle. Alors que dans le même temps, une entreprise continentale peut se développer progressivement.

Les prix

En Corse, l’intensité concurrentielle est faible, tirant les prix vers le haut. L’étude de prix faite par l’INSEE en 2006, le montre clairement.

L’emploi

Le taux d’activité de la population entre 15 et 64 ans est de 66%, le taux le plus faible des régions françaises. Environ 40% de la population corse travaille. C’est l’imigration qui permet de soutenir le dynamisme économique relatif de l’ile.

En 2003, la fonction publique d’Etat, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière sont les plus gros employeurs de l’île, en occupant 30% de la population active. La rationalisation de la fonction publique va entraîner une diminution de de chiffre.

Le revenu salarial annuel moyen à (13 362€ en 2002) est le plus bas de France, pour des prix en moyenne supérieurs, on devine une des explications du niveau de productivité.

L’innovation

Enfin, avec un budget de 0.25 % du PIB (en 2003 =13,5 M€) contre 2,13 % sur le plan national, l’innovation n’a jamais démarré. De plus, près d’un jeune sur cinq de moins de 30 ans qui travaille n’a pas de diplôme. La population de cadre de 7,2% de la population active est largement inférieure à la proportion moyenne française.

En synthèse

Mis bout à bout, ces constats mettent en lumière les menaces qui pèsent sur la croissance de l’économie corse. Celle-ci est loin d’être durable, a besoin de diversifier et de consolider ses supports.

icon_galleryLa Corse comparée aux autre îles

Comparée à Malte, Chypre, les Îles Baléares, l’Islande, les Canaries et la Sardaigne, la Corse a :

  • un taux de croissance du PIB presque médian,
  • le poids du secteur public dans la valeur ajoutée et dans l’emploi le plus élevé
  • une intensité touristique (nuités rapportées au nombre d’habitants) parmi les plus faibles
  • une productivité parmi les plus élévée,
  • un taux d’emploi parmi les plus faibles,
  • un taux de chômage relativement élevé,
  • l’intensité de formation permanente (formations rapportées à la population active)la plus faible
  • des dépenses R&D parmi les plus faibles,

icon_key_pointsEn conclusion

La Corse possède des forces qui ne ressortent pas franchement de l’étude de l’activité économique :

  • un environnement naturel remarquable et exceptionnel que le tourisme à lui seul fait pauvrement fructifier (intensité touristique faible relativement aux autres îles)
  • des ressources naturelles rares comme l’eau, certaines plantes officinales et médicinales
  • une université,
  • une attente forte sociale et économique.

Possède-t-elle des faiblesses ?

L’isolement et le coût du transport qu’il entraine, est un handicap reconnu par les institutions qui versent au sein de la Dotation Générale de Décentralisation, une Dotation de Continuité Territoriale qui s’est élevée à 174 M d’euros en 2003, ce qui a représenté 40,3% des dépenses de la CTC.

Néanmoins, la concurrence insuffisante dans le secteur des transports maintient des prix élevés qui menacent à terme la compétitivité de la principale activité de l’île, le toursime.

De son côté, Jean-Raphaël Chaponnière écrivait en 2006 dans la lettre des économistes de l’AFD que :
«Parmi les 75 économies de moins de 3 millions d’habitants (Etats et territoires confondus), on recense 57 îles parfois isolées (Pacifique) et pour certaines morcelées (Archipels). L’insularité élève certes les coûts de transports, de stockage et de distribution, et représente donc un handicap supplémentaire pour les performances des petites économies.

Mais l’analyse économétrique ne confirme pas que ce handicap soit nécessairement rédhibitoire. L’impact de l’insularité (ou du caractère archipélagique) est faible par rapport à celui de l’isolement mesuré par les coûts d’acheminement des exportations aux pôles mondiaux et les difficultés d’accès de marché».

Comme causes avancées : «elles sont moins tenues de respecter certaines règles internationales (on peut penser aux paradis fiscaux) et reçoivent proportionnellement plus d’aide et/ou de transferts (publics ou issus de la migration)».

«il y aurait ainsi une cohésion sociale plus forte qui favoriserait l’action collective, et rendrait les micro-économies plus réactives».

Le diagnostic de l’économiste est insuffisant, il faut passer à une analyse stratégique et politique

Le diagnostic de l’économiste permet de détecter les déséquilibres passés et d’inspirer les mesures économiques et fiscales pour y remédier. L’économiste demeure dans la continuité et manque de légitimité pour identifier précisément les ruptures nécessaires à la réorientations d’un projet à l’échelle d’une société.

En outre, les outils de l’analyse économique sont tournées vers le passé et rendent compte pauvrement des phénomènes présents.

Le PEI, effort d’investissement sans précédent, s’arrête et démontre qu’il ne suffit pas de mobiliser des ressources financières pour changer radicalement une situation, mais il faut également des hommes, des compétences et une volonté.

Le fait que l’économie corse soit majoritairement basée sur des activités tertiaires n’indique pas que la Corse soit entrée dans une économie post industrielle des services, dite aussi économie de la connaissance.

Nadine Levratto dans son ouvrage « Y-a-t-il une vie après la rente ? » rappelle qu’entre un consultant en management d’un grand cabinet de conseil international qui a développé une expertise très pointue sur son domaine, et une femme de service dans l’hôtellerie, même si chacun d’eux réalise une activité de service, celles-ci appartiennent à deux mondes différents qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre.

Les indicateurs du niveau de qualification moyen et de l’intensité de la formation corroborent cette analyse.

Il revient à l’analyse politique et stratégique de définir une vision de l’avenir de l’île qui mobilise suffisamment de forces vives, pour créer une volonté et un mouvement qui permettent la réalisation de cette vision.

Ce sera l’objet de mon prochain billet…

One thought on “La Corse : le point de vue de l’économiste est nécessairement limité

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